Villeneuve VD, le 12 février 2024
Dans la mesure où les charges retenues à l’encontre de Monsieur Bruno Bidjang ne sont pas communiquées, le présent avis se bornera à examiner les propos querellés, à la lumière des dispositions du droit camerounais.
Les pourfendeurs des propos du journaliste Bruno Bidjang prétendent que ce dernier ne saurait invoquer en sa faveur la garantie constitutionnelle de la liberté de la presse au seul prétexte qu’il exerce son métier au sein d’un organe de presse qui a bénéficié des financements de l’état du Cameroun.
Cet argument, impropre au débat public et repose sur des considérations peu objectives, ne saurait prospérer, en tant que les propos tenus par le Journaliste Bruno Bidjang, quand bien même on les jugerait choquants en raison du contexte, nous paraissent couverts par le principe de la liberté de pensée protégée par la Constitution camerounaise.
Comme toute liberté, la liberté de la presse n’est pas absolue ; elle n’est garantie que dans le cadre de la constitution et de la loi. Elle est en outre limitée par les exigences de l’ordre public, savoir par les mesures de police que les pouvoirs publics peuvent imposer pour sauvegarder l’ordre public, la tranquillité, la sécurité, la salubrité et la morale publiques, ainsi que la bonne foi.
Pour être compatibles avec les garanties constitutionnelles, ces restrictions de police doivent satisfaire à l’exigence de la proportionnalité, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas aller au-delà du but de police recherché : si ce but peut être atteint par des mesures moins sévères, ces mesures seules peuvent être prises, à l’exclusion de mesures plus restrictives pour la liberté des citoyens.
Il est généralement admis que les restrictions apportées à la liberté de la presse ne peuvent consister qu’en des mesures répressives et non pas préventives. Quelques exceptions peuvent être tolérées, mais seulement en raison d’un danger jugé imminent pour l’ordre et la sécurité publics, en période politique troublée (arrestations des militants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun).
En l’espèce, des mesures préventives ne se justifient nullement pour que le journaliste soit interpellé et placé en garde à vue, notamment parce que le risque pour l’ordre et la sécurité publics que présentent les déclarations querellées sont minimes ;
Sans doute pourrait-on imaginer l’hypothèse où les propos de ce jeune journaliste auraient une telle ampleur et un tel concours de personnes qu’il pourraient en résulter des attroupements de personnes demandant des comptes aux pouvoirs gouvernants qui se sentiraient ainsi, avec raison, menacé. Un tel cas se rapprocherait alors de la « manifestation », à propos de laquelle le Sous-Préfet territorialement compétent aurait interdit.
Une telle hypothèse doit cependant être écartée, tenant compte du but visé par les propos querellés, tant ils revêtent une nature idéale, à savoir : sensibiliser la population sur la nécessité de s’écarter des sujets du buzz afin de se concentrer sur les problèmes du quotidien.
Il n’est d’ailleurs pas exclu que, même dans l’hypothèse d’un appel à une « manifestation » visant à renverser le régime de Yaoundé, les mesures ordinaires de police pourraient suffire à éliminer les troubles éventuels causés par des propos isolés d’un jeune journaliste dont l’intention est d’éduquer. Quoi qu’il en soit, il s’impose d’admettre en principe que les propos de Bruno Bidjang ne présentent aucun danger, sinon, un danger minime pour l’ordre et la sécurité publics auquel les mesures ordinaires de police suffisent à parer.
La liberté d’expression, dont la liberté de la presse est une des manifestations, est consacrée par une disposition expresse de la constitution. Elle n’est pas seulement, comme d’autres libertés expresses ou implicites du droit constitutionnel, une condition de l’exercice de la liberté individuelle et un élément indispensable à l’épanouissement de la personne humaine ; elle est encore le fondement de tout Etat démocratique : permettant la libre formation de l’opinion, notamment de l’opinion politique, elle est indispensable au plein exercice de la démocratie. Elle mérite dès lors une place à part dans le catalogue des droits individuels garantis par la Constitution de la République du Cameroun et un traitement privilégié de la part des autorités camerounaises.
Certes, la liberté d’expression n’est pas illimitée. On peut d’ailleurs se demander si les restrictions prévues – diversement selon les cas – par la loi pour l’exercice des libertés explicites sont applicables telles quelles aux libertés implicites, notamment à la liberté d’expression. Point n’est besoin cependant de répondre ici de façon complète à cette question. Il suffit de relever qu’en général, l’exercice de cette liberté ne comporte pas de risque tel qu’il faille placer en détention tout individu se plaignant de ses conditions de vie, ou du comportement des populations au sujet du traitement réservé aux problèmes de tous les jours.
En tout cas, en l’espèce, les exigences de cette liberté doivent l’emporter sur le pouvoir de l’Etat camerounais de préserver l’ordre public, étant donné qu’il s’est agi d’une mise à contribution de la part d’une personne isolée et qu’elle a consisté uniquement dans une interpellation ayant un but idéal.
Ainsi, la censure des propos du jeune journaliste Bruno Bidjang, dans la mesure où ils visent la sensibilisation à caractère idéal, est incompatible avec la liberté de la presse garantie par la Constitution. Partant, sa garde à vue doit être levée.
Charly Noah
Docteur en droit
Président de l’ONG Action 237-Suisse